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paru dans Cols Bleus N°2643 du 11 janvier 2003

L'œil du Rubis
Par l'EV2 Mathieu Obœuf

Vingt-huit missions, trente et un bâtiments ennemis coulés. Le palmarès du plus célèbre des sous-marins français de la Seconde Guerre mondiale est éloquent. Flash back, tout en anecdotes, par Gaston Sanz, le dernier "œil" du Rubis de l'époque.


Le "Roger-flag" du Rubis, un tableau de chasse impressionnant !

Avril 1940. La guerre vient de commencer. Le gouvernement anglais demande aux Français le renfort d'un sous-marin mouilleur de mines. Le Rubis est désigné, les premières missions commencent. Et les péripéties avec. Quand la France capitule, le gouvernement ordonne au Rubis de rentrer au pays. Le CC Georges Cabanier (1), le commandant de l'époque, s'y refuse, mais s'en remet au vote de son équipage. Les 52 sous-mariniers refusent tous de se rendre à l'ennemi. Seuls trois membres de l'équipage supplémentaire, qui, jusqu'alors, n'avaient pas embarqué sur le sous-marin, prendront le parti de rentrer. "Ils avaient leurs raisons, et nous les avons respectées." Dès lors, la décision est prise : les Allemands ne mettront pas le pied sur le bâtiment. Cet acte de détermination vaudra d'ailleurs au Rubis d'être le premier bâtiment français décoré de la croix de la Libération, dès 1941. Cap sur la base sous-marine internationale de Dundee, en Écosse. Les missions s'enchaînent, le Rubis dépose "ses œufs" les uns après les autres, sans relâche, le long des fjords de Norvège. Très vite, là où les sous-marins anglais échouent (six bâtiments "perdus" en l'espace de 18 mois !), le Rubis accumule les exploits. Trop gros, trop bruyants, les bâtiments britanniques n'étaient pas faits pour cette guerre en Norvège. Le Rubis avait quant à lui la particularité d'avoir ses 16 puits situés à l'extérieur de la coque. Les mines étaient donc mouillées sans bulle, sans tâche d'huile, et surtout sans bruit. Grâce à leurs sorties victorieuses, les marins du fameux "P15" gagnent rapidement l'estime de leurs homologues britanniques. Ce qui leur vaut d'être missionnés sur tous les coups délicats…


Le LV Henri Rousselot veille au périscope.

"On a frôlé la mort…"
Peu après le début des hostilités, le CC Georges Cabanier, nommé commandant en chef des forces du Pacifique, laisse le commandement à son second, le LV Henri Rousselot (1). "Alors attention, celui-là c'était un sacré, peut-être même le meilleur !" Août 1941, au cours d'un mouillage de mines près des fjords, le nouveau pacha repère au périscope un convoi allemand. Malgré les consignes de ne pas lancer de torpille avec des mines à bord, il donne l'ordre de tirer. "L'occasion était trop belle ! Pensez-vous, un pétrolier de 4 500 tonnes, on n'allait pas le laisser passer !" Soudain, le sous-marin subit une violente secousse. La torpille lancée de la tourelle arrière est restée coincée à l'extrémité du tube. Laissant à peine le temps à son équipe de reprendre ses esprits, le LV Henri Rousselot fait pivoter le Rubis qui se soulage aussitôt de deux nouvelles torpilles. "Mouche !" La déflagration est énorme. "Ce coup là, on l'a senti passer !" Le sous-marin, situé à 350 m du convoi au lieu des 800 m réglementaires, est touché. Le choc est très violent. "C'est comme prendre un mur en voiture à la vitesse de 35 km/h !" Déstabilisé, l'énorme engin coule en quelques secondes, heurte le fond et s'enfonce partiellement dans le sable. "Impossible de repartir, nous étions enlisés !".


Le général de Gaulle décore le fanion du Rubis de la croix de la libération, en 1941, à Dundee (Ecosse)

"Le Rousselot, c'était un sacré marin !"

Minutes et heures d'angoisses se succèdent. Leur salut, les sous-mariniers du Rubis le doivent à l'entêtement de leur chef. Inlassablement, il fait donner les machines plein tube, d'avant en arrière, d'arrière en avant, jusqu'à ce que son bâtiment commence à bouger. Enfin une lueur d'espoir. Les tentatives continuent de plus belle. Soudain, le sous-marin s'échappe de son piège de sable. La remontée commence. "Ca a été très vite". Si vite que le sous-marin atteint la surface avec 55° de pointe. Troisième secousse très violente. Cette fois, les 140 packs de batterie du bord lâchent sous le choc, les moteurs sont désormais inutilisables. A 2 milles de la côte, le danger pouvait survenir d'un instant à l'autre. Surtout en surface. Occultant les conseils anglais visant à détruire les documents top secrets et à couler le Rubis, le LV Rousselot envoie ses électriciens au charbon. Expérimentés, ceux-ci parviennent à coupler une trentaine de batteries, un diesel repart. Inespéré. Mais pour rentrer, il faut traverser un champ de mines allemand. La détermination de l'équipage ne faillira pas. "On était partis avec le Rubis, on rentrera avec !" A l'aide des différents points donnés par les Anglais, le P15 parvient à se faufiler entre deux mines. L'idée folle de Rousselot se transforme en acte de courage. Le Rubis rentre à la base. A quatre nœuds, mais il rentre. Entier.


L'une des mines du Rubis

 

Le Rubis, cette légende
Le temps d'un petit carénage, et les français repartent en mission. Chaque sortie est irrémédiablement synonyme de nouvelles pertes pour les Allemands. En Norvège, mais aussi près des côtes françaises, du côté d'Arcachon, Biscarosse ou encore Bayonne. Dépêché sur place pour mette fin au trafic de minerai en provenance de Bilbao et à destination des usines de l'Adour, le Rubis fait un carnage. Trois navires et quatre convois réduits à l'état d'épaves ! Les Allemands sont contraints de mettre fin à leur commerce. Une fois de plus, la mission est couronnée de succès. De la même manière, de juin 1939 à décembre 1944, le Rubis et ses Français libres ont envoyé par le fond pas moins de 31 bâtiments. Un palmarès impressionnant qui a permis au petit sous-marin des "Frenchies" de se faire un nom. Malheureusement, au fil du temps et des missions, les éléments ont fait leur œuvre, le bâtiment a souffert. Avant qu'il ne devienne trop dangereux pour l'équipage, les Anglais prennent la décision de le remplacer. En juillet 1945, alors que la guerre touche à sa fin, l'équipage du Rubis ramène son "rafiot" à la base sous-marine d'Oran, où il sera désarmé. Fin d'une aventure. Voire d'une odyssée ?


Le Rubis au départ d'une mission

(1) : Le CC Georges Cabanier et le LV Henri Rousselot deviendront tous deux amiraux. Et même chef d'état major de la Marine de 1962 à 1967 pour le premier.

 

 

 


paru dans Cols Bleus N°2625 du 13 juillet 2002

Le grand carénage du Triomphant
Par le CF Didier Bacon

 

Pour la première fois, un sous-marin nucléaire lanceur d'engins de nouvelle génération, le premier de la série, entre en période de réparation majeure. Le SNLE Le Triomphant, fleuron de la flotte sous-marine française, merveille de technologie et d'innovation, navigue déjà depuis le mois de mai 1994, date à laquelle il a débuté une longue série d'essais conclue par son admission au service actif en mars 1997. Depuis cette date, il a effectué 12 patrouilles opérationnelles, représentant près de 20 000 heures de mer.

L'architecture des SNLE type Le Triomphant est très différente de celle des sous-marins des générations précédentes. Par son architecture d'ensemble, par sa forme de révolution, par chacune des installations doublement suspendues ou par son "usine électrique", tout est fait pour que ce navire soit l'un des plus silencieux au monde.
Les nouvelles technologies ne sont pas en reste et de nouveaux matériaux comme l'acier de nuance 100 HLES (acier à haute limite élastique soudable) pour la coque ou des alliages d'inconel et de titane pour les circuits soumis à la corrosion de l'eau de mer ont été utilisés.

L'arrêté exploitant
Cet "athlète de haut niveau" mérite donc une préparation soignée et une mise en condition des plus poussées en vue de la "compétition". C'est pourquoi DCN et la Marine préparent de longue date cette période d'entretien majeur.
À l'innovation technologique, il faut ajouter l'innovation dans l'organisation du chantier. En effet, le 27 juillet dernier, le ministre de la Défense, exploitant des systèmes et installations nucléaires, prenait un arrêté modifiant l'organisation de ceux-ci en matière de sécurité nucléaire.
Par cet arrêté, dit "arrêté exploitant", DCN se voit confier, pour les sous- marins, l'autorité de la mise en œuvre des chaufferies nucléaires au cours des opérations de maintenance majeure. DCN devient ainsi responsable de la conduite de la chaufferie, charge qui était jusqu'alors dévolue à l'équipage. "Un sous-marin sans équipage", me direz-vous ? C'est un peu vrai, mais nous n'en sommes pas à la fiction du livre de l'amiral Wassilief !
En effet, des marins de l'équipage quittant, au nombre de 40 dans la phase purement industrielle où le combustible nucléaire est déchargé et 75 au cours des déchargements et rechargements de ce combustible, sont mis à disposition de DCN, dans le cadre d'un protocole Marine-DCN. Le SSF voit lui aussi grossir ses rangs d'une dizaine de marins qui seront chargés de veiller au contrôle qualité des opérations effectuées et de participer à l'acceptation de leurs essais.

Deux millions d'heures pour un entretien optimisé
Afin de maîtriser les coûts, naturellement dans le strict respect de la sécurité d'ensemble du bâtiment (nucléaire et classique), un énorme travail d'analyse de la maintenance préventive définie à l'origine a été conduit par les différents acteurs de l'entretien, en concertation avec les concepteurs. La conjonction de la proximité d'une période d'entretien important qui s'est déroulée de novembre 1999 à juillet 2000 et du faible nombre d'heures de fonctionnement de la plupart des installations a favorisé l'optimisation des échéanciers d'entretien.
Le contrat de réalisation passé le 10 octobre 2001 à DCN Brest représente tout de même, pour le bassin breton, un plan de charge conséquent, avec plus de deux millions d'heures oeuvrées, réparties sur plus de deux années.

Calendrier

Le SNLE Le Triomphant a débuté son grand carénage au début du mois d'avril de cette année (2002). Un officier, responsable de l'exploitation devant le directeur de DCN, remplace le commandant du navire. Le sous-marin achève sa première phase à l'île Longue, au cours de laquelle son cœur nucléaire a été débarqué. L'épreuve de résistance permettant de garantir la bonne tenue des structures contenant l'eau du circuit primaire a été acquise fin juin.
Le sous-marin termine ses préparatifs pour entamer la traversée de la rade de Brest afin d'être échoué dans le bassin 8, qui, pour lui, s'est refait une beauté. Il y subira, pendant une année environ, les opérations industrielles qui lui rendront le potentiel nécessaire. Il effectuera ensuite le chemin du retour en vue de recharger son combustible nucléaire à l'île Longue.
Après une série d'essais de toutes ses installations, à quai comme à la mer, il retrouvera le "giron" des sous-marins opérationnels en fin d'année 2004, avec un nouvel équipage, prêt à de nouvelles aventures.

 

Le bassin 8 fait peau neuve

Afin de pouvoir accueillir, pour leur entretien de longue durée. la nouvelle génération de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, le bassin n° 8 et son environnement ont subi un profond changement : le montant de l'opération globale s'élève à 46 M&euro.

Maître d'œuvre de la partie infrastructure de cette opération multifacette, la Direction des travaux maritimes de Brest est responsable, pour un montant de 25 M&euro, des réalisations suivantes :

construction d'une voie de grue de 200 m de long et d'une voie de roulement pour l'atelier mobile d'intervention ;
renforcement du bassin aux normes antisismiques (pose de tirants et injection d'une partie du remblai) ;
mise en place d'un système d'auscultation pour surveiller l'évolution du bassin dans le temps ;
adaptations diverses du bassin pour recevoir le sous-marin et le berceau (aplanissement du radier, adaptation des bajoyers) ;
construction d'un atelier pour le soutien des chaufferies, en collaboration étroite avec DCN (longueur 62m, largeur 23 m, hauteur 20 m, épaisseur des parois I m) ;
construction d'un bâtiment ateliers bureaux vestiaires (4 600 m²) ;
sécurisation du site avec la construction d'une clôture entourant le bassin et d'un poste de contrôle protection.

Cette opération a été conduite, notamment, sous le contrôle des instances indépendantes de sûreté nucléaire. Elle a nécessité des compétences diverses et complexes, une attention particulière à la maîtrise des délais (3 mois de décalage sur un planning de 5 ans). Le défi a été relevé avec succès.

IETTM Stéphanie Keller

 

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Par Antoine de Tournemire, envoyé spécial sur le Saphir

Escorteur du Charles de Gaulle avec le Rubis pendant Héraclès ou ange gardien des SNLE, le Saphir compte aussi le renseignement parmi ses nombreuses facettes. Plongée sur ce discret corsaire qui fêtera ses 20 ans dans quelques mois.

"Immersion à 16 mètres !". Le CC Fabrice d’Ornano s’assoit rapidement devant le périscope d’attaque. La température augmente soudain. C’est parti ! Dans un parfum métallique qui rappelle l’odeur d’un escalator bouillant, le barreur, assis comme un taxi sur un fauteuil couvert de billes de bois, pousse enfin le manche.

Bienvenue à bord du Saphir à quai à Toulon

La sueur des visages luit et reflète les lumières faiblardes. Le CO studieux ressemble à une fosse du Zénith lors d’un concert. Aussi chaud et avec la même promiscuité… la musique en moins. Chacun se faufile, se contourne, comme si de rien n’était.

Le CO n’est pas l’endroit le plus exigu du submersible. Il suffit pour s’en convaincre de découvrir qu’à bord, chaque espace est exploité. Même les rances des torpilles et des missiles accueillent quelques hommes en tranche D. Et que dire des bannettes, surnommées "cercueils" pour mieux souligner leur étroitesse, les trois douches, les deux poulaines ou la cafétéria de 20 m2 conçues pour accueillir 70 hommes !

Le kiosque est pris d'assaut pour une navigation à vue et pour la sacro-sainte cigarette.

 

Soudain, des coups de bélier frappent sur la coque. Un soufflement d’air dans un tube prend le relais. On teste la barre de plongée en mode secours. Le Saphir bascule nonchalamment vers l’abysse. Les chiffres du compteur deviennent le seul repère auquel les yeux s’accrochent jusqu’aux 300 m de profondeur autorisés en temps de paix.

Le film dosimétrique assure la surveillance radioactive
constante des membres d'équipage

Côté vitesse, le Saphir atteindrait les 24 nœuds. Moins que ses concurrents russes ou américains qui tutoient les 40-45 noeuds. Mais suffisamment pour suivre les bateaux de surface légèrement plus rapides. "En pratique, quand on appuie le groupe aéronaval, on est devant eux. Alors, forcément, on part avant" sourit un enseigne.

Mais le Saphir n’escorte pas toujours le porte-avions comme il le fit pour Héraclès dans les eaux chaudes de l’océan Indien... Comme tous les SNA, il soutient aussi les "bombardiers" de la Force océanique stratégique. Il entraîne les SNLE avant leurs missions et blanchit leurs zones avant que ces derniers ne se diluent dans l’Atlantique. "Le SNA fait partie de notre dissuasion" explique le CV François Baud, commandant la flottille et ancien pacha du Saphir entre 1989 et 1992.

Le CO en effervescence, à bâbord sous le massif

"Le SNA démontre aux yeux de tout le monde notre savoir-faire tactique. Cela prouve également, s’il le fallait, que nos SNLE sont réellement entraînés à la menace SNA". Une menace SNA désertée par les Russes…

Même si, parmi ses faits d’armes, le Saphir a pisté le Koursk en été 1999. Un an avant sa disparition tragique, "le sous-marin était venu montrer que cette grande marine avait conservé son savoir-faire malgré une longue interruption des patrouilles en Méditerranée", explique un opérateur. "Il s’est montré à tout le monde, et nous l’avons pisté jusqu’en Atlantique".

De retour dans le CO, je guette vainement le bip du sonar ou un assourdissement passager comparable à celui d’un décollage. Pourtant rien. Et pour cause. Nous sommes en sonar passif. Le Saphir plonge dans son monde du silence. On se croirait presque dans un simulateur…

Barreur ou taxi-driver ?

C’est justement dans les simulateurs de l’ENSM à Toulon que commencent tous les cycles des équipages de SNA après leurs cinq semaines de perm'. Un exercice indispensable pour tester toutes sortes d’avaries sous l’œil impitoyable des instructeurs lors de plates-formes test redoutées…
Après cinq semaines de simulateurs, l’équipage récupère son bâtiment de retour de mission. Une semaine après, le sous-marin reprendra la mer pour un entraînement individuel de 24 h afin que l’équipage se réapproprie le bateau. Une prise de plongée, une reprise de vue et une poignée d’exercices de sécurité sont au programme. Une véritable aubaine pour ressouder les hommes avant les tests.

Le lendemain dès l’aube, le Saphir reviendra en rade de Toulon embarquer les représentants redoutés de la division entraînement chargés, en effet, d’évaluer la mise en condition "sécurité". L’occasion pour les entraîneurs de tester l’équipage dans des situations telles que les alertes incendie et autres avaries. Chaque niveau de conduite sera épié avec tout le stress qu’on imagine. Ensuite seulement, viendra la mise en condition "opérationnelle" durant laquelle le Saphir s’entraînera contre le Jean de Vienne et l’un des SNA durant une quinzaine de jours intenses à la mer.
Enfin, après trois semaines d’entretien à quai pour procéder à l’échange standard de la batterie, le Saphir repartira dans l’Atlantique pour, notamment, procéder à un tir de combat de SM39 au centre d’essai des Landes. L’équipage ne rendra le bateau aux Rouges que fin octobre à Brest, après un grand exercice Otan en Ecosse et une escale à Faslane…

Le périscope d'attaque est modelé dans du matériau
composite pour une furtivité optimale

"J’ai eu droit à quelques escales à chaque fois !" confie un second maître. "Certes, les ports varient peu. La Magdalena en Sardaigne, Augusta en Sicile, Axas en Turquie, Rota en Espagne ou Faslane, la base anglaise près de Glasgow. Mais pendant Héraclès, on a même fait escale à Dubaï et Djibouti avec le soutien d’une frégate", témoigne-t-il. Après plusieurs semaines sous l'eau, ça fait toujours du bien de retrouver un peu d'intimité avant de repartir en mission.

"On compte sur nous pour tenir le moral de l’équipage !"
Le SM Morelon, 28 ans, est commis aux vivres. Cet angevin, un ancien de l’Améthyste, est arrivé sur le Saphir en septembre dernier. Malgré la cuisine de 4 m², la cambuse et les frigos minuscules, il semble ravi: "Ici avec le cuistot on est autonomes. Contrairement à une grosse frégate où on est noyé dans la masse. On est seuls responsables. Alors on s’applique !" crie-t-il en rattrapant une gamelle qui dévale son plan de travail.
Certes, on est loin des salades "longue conservation" servies sur les SNLE après parfois 30 ou 40 jours de mer.


Le SM Morelon occupe le poste stratégique de commis aux vivres

Sur un SNA, après 15 jours de frais, tout l’art consiste à gérer les 30 jours de vivres de croisière, soit 5,5 t, et leurs produits de base : volaille, carottes, etc. pour contenter 70 hommes. 2 640 canettes de boisson gazeuse, des confiseries et autres biscuits sont aussi distribués comme autant de réconforts. Si bien que cuistot et commis ont parfois l’impression d’être aussi là pour écouter… Les autres oreilles d’or du bord en somme.
Côté carte, le cuisinier concède que son atout est sans doute "la langouste, de temps en temps ! Le filet de bœuf aux morilles, ça passe bien aussi ! La brandade de morue est moins populaire, c’est connu".
Un tel succès qu’au retour de la dernière marée, l’équipage a élu celui qui avait le plus grossi. Le titre peu envié de "Cochon d’Or" est ainsi revenu à un OM qui avait pris 13 kg en deux mois.

 

Les privilèges des EmPro
Trois majors comptent parmi les originalités des sous-marins atomiques. Ce qui leur confère un poste et un carré jalousés. Leur niveau exceptionnel, comparable à celui d’un ingénieur, leur permet de bénéficier d’un avancement rapide. Rencontre avec l’un d’entre eux, le major EmPro Yannick Marin, 36 ans, dont 19 dans la Marine et 20 000 heures en plongée.

En tranche Alpha, le major Empro Yannick Marin
officie entre la machine et l'hélice

CB : Quelle est votre formation ?
YM : Après le brevet supérieur et différentes affectations en surface et sur SNA en tant qu’opérateur KR j’ai été sélectionné pour suivre le cours d’Atomicien. A l’époque, cela durait 8 mois à Cherbourg, 3 mois au CEA Cadarache, puis, enfin 4 mois à l’Ecole de la navigation sous-marine, bâtiment propulsion nucléaire.
CB : Les OM Empro bénéficient d’un carré et de conditions agréables à bord….
YM : Agréable, oui. Je préfère même notre poste à celui des officiers ! C’est la contrepartie de nos responsabilités.
CB : Vous avez servi sur SNLE, quelles différences observez-vous avec votre affectation sur SNA ?
YM : Le SNLE est beaucoup moins vivant parce que nos patrouilles sont d’une discrétion totale. La mentalité est différente. La hiérarchie, par exemple, y est plus pesante. Sur un SNA, l’équipage est plus uni. Peut-être à cause des contraintes : exiguïté et longueur des cycles…
CB : On parle d’une pénurie d’OM Empro…
YM : Certains quittent la Marine après avoir donné les quatre ans minimum qu’ils lui doivent. Le civil recrute aussi… Je suis l’un des plus vieux. Certains passent major après 13 ans de service et partent rapidement… et pas seulement à EDF. D’autres entreprises nous convoitent pour des postes de DRH, par exemple. Rien à voir avec le nucléaire.

Des rances aux "Rens"
Les missions du SNA ne consistent pas qu’à ouvrir la route du porte-avions ou à soutenir les SNLE. Le Saphir s’illustre, de plus en plus, en matière de renseignement électromagnétique. Comme en début 2003, lors de la mission de surveillance du trafic maritime Amarante en Méditerranée orientale. "A l’immersion périscopique, on peut prendre des photos des côtes, des ports et des bâtiments de commerce ou de guerre. Lors d’Héraclès, cela nous a permis de croiser régulièrement quelques bâtiments de commerce au comportement suspect comme ce pétrolier plus soucieux de surveiller les côtes que de ravitailler les autres bâtiments. Grâce à la guerre électronique, on a également pu détecter toute l’activité aérienne.
On peut aussi embarquer des "écouteurs" pour surveiller les radios et les réseaux militaires qui nous intéressent. Une équipe de linguistes parlent généralement toutes les langues et tous les dialectes de la région où nous sommes déployés. On leur a fait de la place et ils écoutent en permanence. Toute l’info aboutit directement à la DRM à Creil
» explique l’EV Colonna.

 

L’ouïe d’or
Ce second maître de 28 ans conservera l’anonymat. Il est analyste de bruiteurs. Comme toutes ces fameuses oreilles d’or, il ne fait pas partie de l’équipage mais du Centre d’interprétation de renseignements acoustiques. Affecté lors des sorties, il arrive avec sa base de données sous le bras et se fond dans le CO. Assis entre les deux opérateurs sonar, il compte les tours d’hélices et raffole, sans aucun doute, d’analyses spectrales…

Assis dans le CO, à tribord, les analystes travaillent
entre les deux opérateurs sonar

CB : Quelle est votre formation ?
- Elle est interne au Cira à Toulon. J’ai toujours voulu être sous-marinier et analyste. J’ai d'abord été veilleur au CO. Après il faut travailler beaucoup. On peut s’orienter vers l’élaboration, la détection.
CB : Vous ne quittez jamais votre base de données ?
- Non, c’est tout le travail que nous faisons à terre. Nous la complétons tous les jours. Ca change tout le temps, c’est un travail infini. Toutes les technologies, même sur les bâtiments civils, évoluent. Tout ce qu’on entend est trié ! Même les "biologiques" comme les baleines, des tourbillons ou un orage.
CB : Vous devez avoir une ouïe inouïe !
- Non. D’ailleurs nos tests médicaux sont les même que pour nos camarades sous-mariniers. C’est l’entraînement et le travail qui font la différence. On doit avoir une bonne mémoire auditive et même visuelle car nous utilisons aussi des senseurs.
CB : Vous êtes musicien ?
- Même pas. Dommage d’ailleurs car le sens du rythme peut aider.

Les sous-marins nucléaires d'attaque type Rubis

S 601 Rubis (Service : 1983)
S 602 Saphir (Service : 1984)
S 603 Casabianca (Service : 1987)
S 604 Emeraude (Service : 1988)
S 605 Améthyste (Service : 1992)
S 606 Perle (Service : 1993)
Durée de vie prevue : 25 ans
Dimensions : 73,60 x 7,60 x 6,40
Autonomie : 60 jours (vivres)
Déplacement : 2385 t/surface, 2670 t/plongée
Vitesse : 25/plongée
Armement : torpilles F 17 mod 2 et missiles SM 39
Equipage : 10 off + 52 off.mar.+8 QMM