|
Par
Antoine de Tournemire, envoyé spécial sur le Saphir
Escorteur
du Charles de Gaulle avec le Rubis pendant Héraclès
ou ange gardien des SNLE, le Saphir compte aussi le
renseignement parmi ses nombreuses facettes. Plongée sur ce discret
corsaire qui fêtera ses 20 ans dans quelques mois.
"Immersion
à 16 mètres !". Le CC Fabrice d’Ornano s’assoit
rapidement devant le périscope d’attaque. La température
augmente soudain. C’est parti ! Dans un parfum métallique qui
rappelle l’odeur d’un escalator bouillant, le barreur, assis
comme un taxi sur un fauteuil couvert de billes de bois, pousse
enfin le manche.
Bienvenue
à bord du Saphir à quai à Toulon
|
|
La
sueur des visages luit et reflète les lumières faiblardes. Le CO
studieux ressemble à une fosse du Zénith lors d’un concert. Aussi
chaud et avec la même promiscuité… la musique en moins. Chacun se
faufile, se contourne, comme si de rien n’était.
|
Le
CO n’est pas l’endroit le plus exigu du submersible. Il
suffit pour s’en convaincre de découvrir qu’à bord, chaque
espace est exploité. Même les rances des torpilles et des
missiles accueillent quelques hommes en tranche D. Et que dire
des bannettes, surnommées "cercueils" pour mieux
souligner leur étroitesse, les trois douches, les deux
poulaines ou la cafétéria de 20 m2 conçues pour accueillir 70
hommes !
Le
kiosque est pris d'assaut pour une navigation à vue et pour la
sacro-sainte cigarette.
|
Soudain,
des coups de bélier frappent sur la coque. Un soufflement
d’air dans un tube prend le relais. On teste la barre de plongée
en mode secours. Le Saphir bascule nonchalamment vers
l’abysse. Les chiffres du compteur deviennent le seul repère
auquel les yeux s’accrochent jusqu’aux 300 m de profondeur
autorisés en temps de paix.
Le
film dosimétrique assure la surveillance radioactive
constante des membres d'équipage
|
|
Côté
vitesse, le Saphir atteindrait les 24 nœuds. Moins que ses
concurrents russes ou américains qui tutoient les 40-45 noeuds. Mais
suffisamment pour suivre les bateaux de surface légèrement plus
rapides. "En pratique, quand on appuie le groupe aéronaval, on
est devant eux. Alors, forcément, on part avant" sourit un
enseigne.
|
Mais
le Saphir n’escorte pas toujours le porte-avions
comme il le fit pour Héraclès dans les eaux chaudes de l’océan
Indien... Comme tous les SNA, il soutient aussi les
"bombardiers" de la Force océanique stratégique. Il
entraîne les SNLE avant leurs missions et blanchit leurs zones
avant que ces derniers ne se diluent dans l’Atlantique. "Le
SNA fait partie de notre dissuasion" explique le CV
François Baud, commandant la flottille et ancien pacha du Saphir
entre 1989 et 1992.
Le
CO en effervescence, à bâbord sous le massif
|
"Le
SNA démontre aux yeux de tout le monde notre savoir-faire tactique.
Cela prouve également, s’il le fallait, que nos SNLE sont réellement
entraînés à la menace SNA". Une menace SNA désertée par
les Russes…
Même
si, parmi ses faits d’armes, le Saphir a pisté le Koursk
en été 1999. Un an avant sa disparition tragique, "le
sous-marin était venu montrer que cette grande marine avait conservé
son savoir-faire malgré une longue interruption des patrouilles en Méditerranée",
explique un opérateur. "Il s’est montré à tout le monde,
et nous l’avons pisté jusqu’en Atlantique".
|
De
retour dans le CO, je guette vainement le bip du sonar ou un
assourdissement passager comparable à celui d’un décollage.
Pourtant rien. Et pour cause. Nous sommes en sonar passif. Le Saphir
plonge dans son monde du silence. On se croirait presque dans un
simulateur…
Barreur
ou taxi-driver ?
|
C’est
justement dans les simulateurs de l’ENSM à Toulon que commencent tous
les cycles des équipages de SNA après leurs cinq semaines de perm'. Un
exercice indispensable pour tester toutes sortes d’avaries sous l’œil
impitoyable des instructeurs lors de plates-formes test redoutées…
Après cinq semaines de simulateurs, l’équipage récupère son bâtiment
de retour de mission. Une semaine après, le sous-marin reprendra la mer
pour un entraînement individuel de 24 h afin que l’équipage se réapproprie
le bateau. Une prise de plongée, une reprise de vue et une poignée
d’exercices de sécurité sont au programme. Une véritable aubaine
pour ressouder les hommes avant les tests.
Le
lendemain dès l’aube, le Saphir reviendra en rade de
Toulon embarquer les représentants redoutés de la division
entraînement chargés, en effet, d’évaluer la mise en
condition "sécurité". L’occasion pour les entraîneurs
de tester l’équipage dans des situations telles que les
alertes incendie et autres avaries. Chaque niveau de conduite
sera épié avec tout le stress qu’on imagine. Ensuite
seulement, viendra la mise en condition "opérationnelle"
durant laquelle le Saphir s’entraînera contre le
Jean de Vienne et l’un des SNA durant une quinzaine de
jours intenses à la mer.
Enfin, après trois semaines d’entretien à quai pour procéder
à l’échange standard de la batterie, le Saphir
repartira dans l’Atlantique pour, notamment, procéder à un
tir de combat de SM39 au centre d’essai des Landes. L’équipage
ne rendra le bateau aux Rouges que fin octobre à Brest, après
un grand exercice Otan en Ecosse et une escale à Faslane…
Le
périscope d'attaque est modelé dans du matériau
composite pour une furtivité optimale
|
|
"J’ai
eu droit à quelques escales à chaque fois !" confie un
second maître. "Certes, les ports varient peu. La Magdalena en
Sardaigne, Augusta en Sicile, Axas en Turquie, Rota en Espagne ou
Faslane, la base anglaise près de Glasgow. Mais pendant Héraclès, on
a même fait escale à Dubaï et Djibouti avec le soutien d’une frégate",
témoigne-t-il. Après plusieurs semaines sous l'eau, ça fait toujours
du bien de retrouver un peu d'intimité avant de repartir en mission.
"On compte sur nous pour tenir le moral de l’équipage !"
Le SM Morelon, 28 ans, est commis aux vivres. Cet angevin, un
ancien de l’Améthyste, est arrivé sur le Saphir
en septembre dernier. Malgré la cuisine de 4 m², la cambuse et
les frigos minuscules, il semble ravi: "Ici avec le
cuistot on est autonomes. Contrairement à une grosse frégate où
on est noyé dans la masse. On est seuls responsables. Alors on
s’applique !" crie-t-il en rattrapant une gamelle
qui dévale son plan de travail.
Certes, on est loin des salades "longue conservation"
servies sur les SNLE après parfois 30 ou 40 jours de mer.
|

Le SM
Morelon occupe le poste stratégique de commis aux vivres
|
Sur un SNA, après 15 jours de frais, tout l’art
consiste à gérer les 30 jours de vivres de croisière, soit
5,5 t, et leurs produits de base : volaille, carottes, etc. pour
contenter 70 hommes. 2 640 canettes de boisson gazeuse, des
confiseries et autres biscuits sont aussi distribués comme
autant de réconforts. Si bien que cuistot et commis ont parfois
l’impression d’être aussi là pour écouter… Les autres
oreilles d’or du bord en somme.
Côté carte, le cuisinier concède que son atout est sans doute
"la langouste, de temps en temps ! Le filet de bœuf
aux morilles, ça passe bien aussi ! La brandade de morue est
moins populaire, c’est connu".
Un tel succès qu’au retour de la dernière marée, l’équipage
a élu celui qui avait le plus grossi. Le titre peu envié de
"Cochon d’Or" est ainsi revenu à un OM qui avait
pris 13 kg en deux mois.
|
Les privilèges des EmPro
Trois majors comptent parmi les originalités des sous-marins
atomiques. Ce qui leur confère un poste et un carré jalousés.
Leur niveau exceptionnel, comparable à celui d’un ingénieur,
leur permet de bénéficier d’un avancement rapide. Rencontre
avec l’un d’entre eux, le major EmPro Yannick Marin, 36 ans,
dont 19 dans la Marine et 20 000 heures en plongée.
En
tranche Alpha, le major Empro Yannick Marin
officie entre la machine et l'hélice
|
|
CB : Quelle est votre formation ?
YM : Après le brevet supérieur et différentes affectations en surface
et sur SNA en tant qu’opérateur KR j’ai été sélectionné pour
suivre le cours d’Atomicien. A l’époque, cela durait 8 mois à
Cherbourg, 3 mois au CEA Cadarache, puis, enfin 4 mois à l’Ecole de
la navigation sous-marine, bâtiment propulsion nucléaire.
CB : Les OM Empro bénéficient d’un carré et de conditions agréables
à bord….
YM : Agréable, oui. Je préfère même notre poste à celui des
officiers ! C’est la contrepartie de nos responsabilités.
CB : Vous avez servi sur SNLE, quelles différences observez-vous
avec votre affectation sur SNA ?
YM : Le SNLE est beaucoup moins vivant parce que nos patrouilles sont
d’une discrétion totale. La mentalité est différente. La hiérarchie,
par exemple, y est plus pesante. Sur un SNA, l’équipage est plus uni.
Peut-être à cause des contraintes : exiguïté et longueur des
cycles…
CB : On parle d’une pénurie d’OM Empro…
YM : Certains quittent la Marine après avoir donné les quatre ans
minimum qu’ils lui doivent. Le civil recrute aussi… Je suis l’un
des plus vieux. Certains passent major après 13 ans de service et
partent rapidement… et pas seulement à EDF. D’autres entreprises
nous convoitent pour des postes de DRH, par exemple. Rien à voir avec
le nucléaire.
Des rances aux
"Rens"
Les missions du SNA ne consistent pas qu’à ouvrir la route du
porte-avions ou à soutenir les SNLE. Le Saphir
s’illustre, de plus en plus, en matière de renseignement électromagnétique.
Comme en début 2003, lors de la mission de surveillance du
trafic maritime Amarante en Méditerranée orientale. "A
l’immersion périscopique, on peut prendre des photos des côtes,
des ports et des bâtiments de commerce ou de guerre. Lors d’Héraclès,
cela nous a permis de croiser régulièrement quelques bâtiments
de commerce au comportement suspect comme ce pétrolier plus
soucieux de surveiller les côtes que de ravitailler les autres
bâtiments. Grâce à la guerre électronique, on a également
pu détecter toute l’activité aérienne.
On peut aussi embarquer des "écouteurs" pour
surveiller les radios et les réseaux militaires qui nous intéressent.
Une équipe de linguistes parlent généralement toutes les
langues et tous les dialectes de la région où nous sommes déployés.
On leur a fait de la place et ils écoutent en permanence. Toute
l’info aboutit directement à la DRM à Creil»
explique l’EV Colonna.
|
L’ouïe d’or
Ce second maître de 28 ans conservera l’anonymat. Il est
analyste de bruiteurs. Comme toutes ces fameuses oreilles
d’or, il ne fait pas partie de l’équipage mais du Centre
d’interprétation de renseignements acoustiques. Affecté lors
des sorties, il arrive avec sa base de données sous le bras et
se fond dans le CO. Assis entre les deux opérateurs sonar, il
compte les tours d’hélices et raffole, sans aucun doute,
d’analyses spectrales…
Assis
dans le CO, à tribord, les analystes travaillent
entre les deux opérateurs sonar
|
|
CB : Quelle est votre formation ?
- Elle est interne au Cira à Toulon. J’ai toujours voulu être
sous-marinier et analyste. J’ai d'abord été veilleur au CO. Après
il faut travailler beaucoup. On peut s’orienter vers l’élaboration,
la détection.
CB : Vous ne quittez jamais votre base de données ?
- Non, c’est tout le travail que nous faisons à terre. Nous la complétons
tous les jours. Ca change tout le temps, c’est un travail infini.
Toutes les technologies, même sur les bâtiments civils, évoluent.
Tout ce qu’on entend est trié ! Même les "biologiques"
comme les baleines, des tourbillons ou un orage.
CB : Vous devez avoir une ouïe inouïe !
- Non. D’ailleurs nos tests médicaux sont les même que pour nos
camarades sous-mariniers. C’est l’entraînement et le travail qui
font la différence. On doit avoir une bonne mémoire auditive et même
visuelle car nous utilisons aussi des senseurs.
CB : Vous êtes musicien ?
- Même pas. Dommage d’ailleurs car le sens du rythme peut aider.
Les
sous-marins nucléaires d'attaque type Rubis
S
601 Rubis (Service : 1983)
S 602 Saphir (Service : 1984)
S 603 Casabianca (Service : 1987)
S 604 Emeraude (Service : 1988)
S 605 Améthyste (Service : 1992)
S 606 Perle (Service : 1993)
Durée de vie prevue : 25 ans
Dimensions : 73,60 x 7,60 x 6,40
Autonomie : 60 jours (vivres)
Déplacement : 2385 t/surface, 2670 t/plongée
Vitesse : 25/plongée
Armement : torpilles F 17 mod 2 et missiles SM 39
Equipage : 10 off + 52 off.mar.+8 QMM
|
|