Documents fournis CF (R) BERTHIER PIERRE Réserviste DMD 2A
HUMOUR
HISTOIRE
ET BONNES HISTOIRES
NDLR
: Dans nos carrés, certains
de nos camarades se distinguent par le talent particulier qui
consiste à enjoliver des événements
bien réels qui méritent de figurer dans l'histoire de notre marine pour
la plus grande joie des conteurs et de ceux qui les écoutent. Tel est
le cas de l'aventure - bien connue - du commandant
Le Roux, officier des équipages de la Flotte
au cours du premier conflit mondial.
Il
nous a paru intéressant de mettre en regard une version qu'on peut considérer
comme officielle, celle publiée dans la célèbre
revue hebdomadaire L'Illustration" dans son numéro du 1er juin
1918, et celle (parmi d'autres) qui nous a été communiquée par le capitaine de vaisseau George (EN 68). On
ne pourra manquer de relever la liberté prise par le conteur,
qui n'hésite pas à remplacer la Méditerranée par
la Manche et même à inventer un contact avec les Britanniques, histoire de
rendre l'événement beaucoup plus croustillant !
J.L.H.
Chalutier
contre sous-marin
LE
VICTORIEUX
COMBAT DE
L' AILLY" CONTRE L'
"U C-35"
Nous avons
annoncé, dans le
précédent numéro, la destruction,
par le chalutier Ailly,
d'un sous-marin
allemand. Voici quelques
détails complémentaires
sur cet exploit accompli avec un bel entrain
Le
chalutier Ailly, commandé par le premier maître timonier Le Roux, remorquait
deux voiliers sur les côtes de Sardaigne,
lorsqu'il fut attaqué par le sous-marin
U C-35 qui le canonna à grande
distance. Larguant les remorques pour
évoluer plus
facilement et se
rapprocher de l'ennemi, il riposta
et son premier projectile atteignit
l'avant du sous-marin :
coup heureux entre tous dénotant une rare sûreté de coup d'oeil de
la part du premier maître Le Roux, qui
avait apprécié la
distance sans
télémètre. De plus en plus précis,
le tir continua, les coups
au but se
succédèrent, emportant les périscopes,
démolissant le kiosque, défonçant le pont,
arrachant les canons de leurs affûts, rasant le sous-marin comme un ponton.
Un
dernier coup à la flottaison fit apiquer l'Allemand qui sombra bientôt entraînant
dans ses remous la plus grande partie de son équipage. On
ne put recueillir que cinq hommes,
au nombre desquels se trouvaient le commandant du sous-marin
et un marin espagnol qu'il avait
capturé quelques jours auparavant. Ainsi
finit l'U C-35, cité souvent dans les communiqués
de l'ennemi, qui le considérait
comme un champion de la guerre de
course sous-marine et qu'il donnait en exemple
à tous ses congénères pour stimuler
leur zèle.
Après
ce rapide
et victorieux
combat, l'Amy rentra à Toulon, sans
aucune avarie. Les prisonniers furent internés
au fort Lamalgue
et on
hospitalisa, à Saint Mandrier, le
marin espagnol.
Quelques
jours après, le
brave
chalutier
était de
nouveau paré
à reprendre la mer. Avant qu'il appareillât, le
vice-amiral Lacaze, commandant en chef,
préfet du 5 ° arrondissement
maritime, vint à bord ; il
remit des Croix de guerre à son valeureux équipage et fit donner
lecture des
citations. Les premiers
maîtres Le Roux et Caron et le quartier-maître
Tanguy sont cités
à l'ordre
de l'armée avec
les motifs
suivants
"Premier maître timonier Le Roux,
commandant le chalutier Aillv. - Commandant de chalutier modèle, d'une magnifique ardeur et bravoure , a su commur:iquer à son équipage l'esprit qui l'anime. Attaqué. pendant qu'il remorquait deux voiliers, par un sousmarin plus puissamment armé que l' Ailly, n'a pas hésité à filer ses remorques pour courir sus à l'ennemi et l'a coulé au canon. après un court et brillant combat."
"Premier maître de manoeuvre Caron, chef de quart à bord de l'Ailly - Par sa vaillance, sa manoeuvre habile et son sang-froid. a permis à l' Ailly son immédiate et foudrovante riposte."
"Quartier-maure fusilier Tangue,
chef de la pièce de 75 à l'avant de l'Ailly - Â toujours fait preuve de qualités militaires hors ligne ; son coup d'oeil et son sang-froid parfaits sous le feu ont assuré la destruction du sous-marin ennemi."
En remettant les Croix de guerre à ces braves marins, l'amiral Lacaze a prononcé une brève allocution,
"",fes amis. a-t-il dit, je n ai
pas voulu vous laisser repartir sans vous féliciter du bel et glorieux exploit
que cous avez accompli sous les ordres d'un chef modèle. Les croix que je vous
remets sont les plus belles qu'on puisse décerner. et vous avez le droit d'en
étre tiers. Tout l'équipa_e de 1'Ailly s'est
montré en cette circonstance, par sa magnifique attitude et sa belle ardeur, digne des plus belles traditions de la marine française. Je voudrais vous embrasser tous : je vous embrasse dans la personne de votre commandant, le brave Le Roux. Au revoir et bonne chance I"
Le vaillant petit chalutier a repris son rude métier de protecteur du trafic maritime. de ce trafic dont la sécurité devient chaque jour p. us grande. grâce à l'inlassable dévouement de nos patrouilleurs qui rivalisent de courage et d'endurance dans l accomplissement de cette niche aCcntureuse.
R. L.
Les trois voaliers du commandant Le Roux
Officier des Equipages de Manoeuvre (en retraite)
C'était en 1916, alors que je commandais un remorqueur de 600 qu'avait un nom
d'zoizeau, le Hippopautame qu'i s'appelait.
Toujours bien briqué, l'était joli comme à Brest.
Mon histoire commence au retour d'une 72 heures, où j'avais envoyé avec moi au
pardon du Folgoét madame LEROUX, mon aîné quartier-maître fourrier et son
femme qu'était en attente.
En montant la coupée, Job me tend un message. Là, je dois dire un mot de Job,
qu'était à bord comme qui dirait mon Second, et qui tient sa place dans la
suite comme vous verrez par vous mêm'. C'était un bled à moi dévoué et
tout, mais qu'avait pas beaucoup fréquenté l'école et qui par surplus se
laissait un peu aller sur le boire. MPm' qu'un soir l'était rentré de terre
bourré à zéro et s'était affalé d'un bloc par le panneau de la cale avant.
Près de deux mois à l'hosto, l'était demeuré avec une jambre plus courte que
les deux zottes, mais toujours solide au poste et hardi au travail.
Le message était ainsi titulé
"Commandant Hippopautame convoqué lundi dize heures à la P.M., 3ème
bureau".
A l'heure dite, capelé dans mon uniforme de sortie, j'me présente au capitaine
qui rentre de suite dans le vif du sujet
"Voilà Le Roux, y a une mission importante pour vous. Demain vous
appareillerez pour l'Angleterre chercher trois voaliers et les escorter jusqu'à
Brest pour les protéger des sousmarins. Bonne chance".
De retour à bord, j'ordonne à Job : "Prépare tout pour l'appareillage et
manque pas de faire le plein de pinard". Ça, j'avais ajouté pour rigoler
vu que ç'aurait pas été dans son tempérament de l'oublier. "Où c'est-y
qu'on va ?" qu'i demande. "T'occupes, c'est secret". Dam', je
voulais pas qu'il risque d'aller trop causer dans un débit du Plateau où y en
a qu'ont les oreilles longues et la langue rapide à marcher.
Au matin du jour après, sitôt le Mângain laissé par babeau et pris le Four,
en avant et en route en gros cap au noroît.
Jusqu'à Portemouth rien à signaler, mais sitôt accosté après une fine
manoeuffe, c'est là que le cirque a commencé. Avec Job évidemment qu'était
mon remplaçant réglementaire si je tombais faib'e et le timonier, un parisien
qu'avait de l'instruction, on se rend dans un H.M.S. baraque où y avait à
attendre un officier anglais avec de drôles de galons sur les manches et un
tour de bitte, Routing qu'i s'appelait je me souviens, et les trois
commandants des trois voaliers. Après les salutations, le British nous a
amenés devant un mur où qu'était peinte une grande carte marquée
"Channel", mais que j'ai tout de suite reconnue pour la Manche. Là,
i' s'met à causer, causer, en promenant une
baguette de points en points marqués de lettres majuscules. J'ai compris à vue
que c'était les routes où qu'il voulait qu'on passe pour éviter les supposés
sous-marins qu'étaient pointés avec des petits cabillots touches. Le timonier
qui écoutait avec des airs supérieurs traduisait, par ci par là, d'un n' t,
de longues phrases, ce qui m'a fait douter de son savoir à interprétait si
bien qu'il disait. Enfin, après avoir montré Brest au bout de sa gaffe,
l'officier British demande si on a bien compris. Job, l'air éveillé d'une
vieille au sortir de l'eau, me dit en faisant passer sa chique d'un bord à
Pote, et en breton : "j'ai rien beillesé, et toi ?" Je lui réponds
en breton : "Te casse pas la tête, mon pays, on passera ou on passera pas
où ce distingué veut. A la mer, on se dé..." et je me retourne vers les
trois commandants des trois voaliers pour leur donner en français mes
instructions détaillées
"Appareillage à midi. Cap sur Ouessant vent permettant et rester en
groupe".
Dans l'après-midi, le convoa était ainsi formé : quand y faisait du calme, le
remorqueur devant avait du vent dans la cale, les voaliers derrière ; quand y
avait bonne brise, les voaliers me regagnaient et j'étais à la traîne
derrière. Ce qui fait que l'un dans l'aut'e on naviguait comme prévu de
conserve.
HUMOUR
Après la soupe et avant de regagner ma banette je marque, comme c'est
réglementaire, mes ordres pour la nuit sur le journal de bord
'Conserver bon cap et bonne vitesse. Faire de temps en temps des zigs et des
zags pour tromper le sous-marin. Bien veiller le sous-marin et me prévenir en
cas d'imprévu".
A minuit, je monte pour la relèfe de quart, et Job me dit
'Tout va bien, on a vu passer le sous-marin par babord.
- Gast alors, pourquoi que tu m'as pas prévenu ?
- Dam, qu'i me dit l'air offusqué, le sous-marin c'était prévu et t'avais
marqué de te réveiller seulement en cas d'imprévu".
J'avais un pare-à-virer qui me brùlait la main, mais je n'ai pas voulu
brusquer Job et pour l'avenir j'ai complété mes ordres en ajoutant
"Me réveiller en cas de quoi que ce soit".
J'étais à peine recouché
qu'une gueulante sort du portevoix de ma chambre . "commandant, il est là
de retour". J'enfile mes bottes (à la mer je couchais tout habillé sauf
mes bottes) et je monte. "Où c'est qu'il est ?" Je cherche, je
cherche, mais d'un
bord comme de lote, pas plus de sous-marin que d'beurre. Alors j'ajoute à mes
ordres pour que ce soit bien clair une fois pour toutes
"OBSERVATION IMPORTANTE : quoi que ce soit c'est tout
mais c'est pas rien"
et je souligne.
Après le jus du matin et un coup de lambic pour décrasser, je monte sur le
pont et cherche à repérer mes yaks et trouve plus que deux, mém' en comptant
à nouveau... Alors je pense, faut faire de suite un P.V., sinon çui-ci on va
me l'apostiller sur mon sac. Et après réflexion en moi-mém' je note sur le
journal
"P.V. de perte : un voalier a disparu sans raison valable et malgré bonne
surveillance. II n'y a pas lieu à imputation".
V Dans la journée on continue à faire route à bonne allure sans péripéties
avec les deux de reliquat et à la nuit, je note sur le journal de bord
"Mêmes consignes que la veille, sauf escorter deux voaliers au lieu de
trois".
Je dormais que sur un oeil, comme il se doit quand on a de la responsabilité,
que j'entends, "y en a un qui s'est envoyé en l'air". Je monte en
chaussons sur la passerelle, sans mettre rues bottes pour faire vite, et je vois
un grand feu sur l'eau une bonne distance par le travers.
"Çà, dit Job d'un air rusé, du coup c'est pas rien ?
- Arme le canon, que je réponds, j'ai idée que le sousmarin doit pas être
loin et qu'on va causer avec.
A droite toute, je dis à l'homme de barre, gouverne sur l'incendie.
Je siffle la machine et gueule (à cause du bruit)
"Pousser la chauffe."
Enfin
"Tout le monde à son poste et à ouvrir l'oeil ; la doub'e à celui qui
voit quelque chose".
Celui qui l'a gagnée la doub'e et bien gagnée, c'est Zef, un marin-pécheur
dans le civil, pas très militaire mais doué pour la vue,
malgré qu'à l'observer de face son oeil droit regardait à gauche et le gauche
à droite.
"Patron, qu'il a crié, vot'béluga, il émerche deux quarts babord".
Je pointe mes jumelles louches et c'était vrai, je perçois une ombre noire qui
se détachait à peine du voalier en flamme.
"Là, que je dis au canon, envoyez-lui une ration pour lui apprendre à
viffre.
- Mais, dit Job, c'est qu'y a pas d'obus, sont tous en soute._
- Dégourdi, fais vite pour en chercher un."
Job fut long à remonter et i'm dit pour s'excuser
"On trouvait pas la clé, c'est Fanch qui l'avait donnée à Loïc, le
magasinier qu'il l'avait planquée dans son pantalon-du dimanche".
Pendant ces retardements, le sous-marin se rapprochait
avec un air de mine de rien du dernier voalier et je gouvernais
cap dessus pour lui couper la route.
"Qu'est-ce que t'attends, Job pour tirer ?
- Vous avez pas dit de charger, commandant. - Charge donc en vitesse. - A poste,
qu'i m'dit
- Tu tires oui ou ...
- Vous avez pas dit feu, commandant.
- Feu, nom de Dié."
Boum, le coup part et je pointe mes jumelles louches dans la direction ad hoc ;
mais d'abord, je vois rien, rapport à la fumée, ensuite je perçois une cherbe
à droite du sous-marin et un pei derrière.
"Vise deux doigts plus à gauche et une idée plus près.
- Mais, dit Job, c'est que la munition est épuisée, vous avez dit de chercher
un obus et on a monté qu'un.
- Teso guinaouec, je lui dis - que c'est une injure pas traduisible en société
- va chercher cor'un aut'e.
RUBRIQUE
ADMINISTRATIVE
Enfin deuxième boum, et même après la
fumée, je vois plus rien là où le sous-marin était avant., De deux choses
l'une je me dis en moi mêm', ou c'est qu'il 'a plongé ou c'est qu'on a fait
but, et je continue la route avant demi.
En se rapprochant, on a distingué des points noirs sur l'eau qu'on aurait dit
des petites bêtes qui surnageaient. Arrivée à toucher, on s'est bien rendu
compte que c'était des tètes d'allemands, tout rasés qu'ils étaient. Avec
des boutts, la gaffe et une chatte, on a repêché douze, juste ce qu'il
fallait, m'a dit Job, pour qu'ils ne nous foutent pas tous à la patouille car
douze qu'on est à bord, ç'aurait pas été prudent qu'on embarque davantage.
La douzaine de chiens mouillés on leur a donné, par fraternité des gens de
mer, du vin chaud et rassemblé à coucher dans le poste avant.
Avec le seul voalier rescapé, qu'avait repêché l'équipage de lote qu'avait
brûlé, on est rentré en grande rade et aussitôt amarré en Penfeld, j'ai
été rend'compte
"Un seul voalier qu'on a ramené avec deux équipaches, un qu'a été
torpillé, un ote qu'i s'est pointé disparu et on a coulé un sous-marin".
Le chef d'état-major n'était pas content rapport à la perte, et il a marmoné
"Coulé un sous-marin, coulé un sous-marin, tous les mêmes, c'est vite
dit ; avez-vous vu la tache d'huile ?"
Çà, on pouvait pas dire honnêtement, j'avais pas la souvenance d'une tache
d'huile et je suis rentré à bord me concerter avec Job et lui dire que si on
n'avait pas vu de tache d'huile, on n'avait pas coulé de sous-marin. Tout rouch'
qu'il est devenu et avalé sa chique
"d'l'huile y en avait pas, mais les douze rationnaires qui sont en bas et
qui foutent la cambuse à cul, c'est-y pas des preuves ça ?"
Alors, une idée à lui, on leur a capelé des effets de l'habillement et
rassemblés en douce devant le peu-meu. Tellement bien alignés qu'ils étaient
qu'on a bien vu qu'c'était pas des marins français et acceptés comme pièces
à conviction.
L'Amiral, un grand sec, pas causant à l'ordinaire, était bien content et m'a
dit
"Le Roux, vot'histoire, c'est toute une Odyssée et je vais vous proposer
pour la croix de guerre".
Il m'a invité à son déjeuner avec la Préfete et tout. C'était bien
honnête, mêm' qu'y avait du vin rouch' à discrétion.