LES ANECDOTES

Vieilles histoires de la vieille marine 

 Comment on transmet un ordre ?

 

Le lieutenant du vaisseau au premier maître :

 

 -Comme vous devez le savoir, demain il y aura éclipse de soleil, ce qui n’arrive pas tous les jours. Laissez monter les hommes à 8h en tenue de service sur les passerelles et spardecks – ils pourront voir ce rare phénomène et je leur donnerai les explications nécessaires. S’il pleut il n’y aura rien à voir ; dans ce cas laissez les hommes dans les batteries.

 

Le premier maître aux seconds maîtres.

 

 – Sur recommandation du capitaine, demain matin à 8h, il y aura éclipse de soleil en tenue de service. Le capitaine donnera aux spardecks et passerelles les explications nécessaires, ce qui n’arrive pas tous les jours, s’il pleut il n’y aura rien à voir, mais alors le rare phénomène aura lieu dans la batterie.

 

 Les seconds maîtres aux quartiers-maîtres.

 

 – Par ordre du capitaine, à 8h ouverture de l’éclipse de soleil sur les spardecks et passerelles en tenue de service. Le capitaine donnera dans la batterie les explications nécessaires sur ce rare phénomène et parfois il pleut, ce qui n’arrive pas tous les jours.

 

 Les quartiers-maîtres aux marins.

 

 – Demain matin à 8h, le capitaine fera éclipser le soleil en tenue de service avec les explications nécessaires. – Si parfois il pleut, ce rare phénomène aura lieu dans la batterie, ce qui n’arrive pas tous les jours.

 

Les marins entre eux.

– Demain matin à 8h, le soleil sur les spardecks fera éclipser le capitaine dans la batterie avec les explications nécessaire. Si parfois il pleuvait ce rare phénomène aurait lieu en tenue de service, ce qui n’arrive pas tous les jours.

 

 

  HISTOIRES DE VIEILLES MARINES

            

                                                                                                        

LE CHIEN SAVAIT TOUT

 

 

DANS LE NAUFRAGE DU « PHENIX », IL N’Y EUT QU’UN SEUL SURVIVANT : LE CHIEN, MASCOTTE DE L’ÉQUIPAGE….

 

Un récit de RAOUL PICAULT recueilli par MICHEL EL BAZE.

 

Il y a les vivants,

Il y a les morts

Et il y a ceux qui s’en vont sur la mer.

 

                                               PLATON

 

En ce temps-là, la magnifique flotte française comptait, entre autre navire, plus quatre-vingts sous-marins. Les plus grands de ceux –ci, dits océanique, jaugeant 1 500 t. en surface, naviguaient et opéraient toujours par paire, en s’appuyant l’un à l’autre.

Nous sommes au printemps 1939,au quai principal de la Marine à Saigon. Alors que les navires de surface qui sont là sont peints d’un beau gris perle, les deux sous-marins de l’escadre dite F.N.E.O.(Forces Navales d’Extrême-Orient), amarrés à couple, tranchent par leur longue coque noire.

Le premier à quai est l’Espoir, et collé à son flanc, son sister ship le Phenix.

             Heure prévue de l’appareillage, 9 heures. Toute l’escadre d’Extrême –Orient est appelée en manœuvre en mer de Chine, au large de Cam Ranh. Les bâtiments de surface s’exerceront à la lutte anti sous-marine, les sous-marins à l’attaque des premiers.

  L’équipage du Phenix possède une mascotte depuis plusieurs années déjà, un magnifique chien reflétant au mieux dans sa robe le caractère multiracial de l’empire français.

         Pour l’instant, l’animal est permissionnaire et batifole sur le quai. Parfaitement dressé par plusieurs de ses maîtres, ce chien est un parfait sous-marinier. Il sait monter et descendre les échelles, reconnaît les diverses sonneries, et bruits du bord, connaît les emplacements qui lui sont assignés pour les repas, le sommeil, l’appareillage, la plongée et le combat. Et enfin, le nez à 40 centimètres du sol, il est plus apte que quiconque à donner l’alerte en cas de modification de l’atmosphère intérieure. Rôle  tenu, sur d’autres submersibles, par des souris blanches en cage.

 Il ne figure pas au rôle d’équipage, mais tous en sont d’accord, il n’est pas le moins utile.

 

                  L’appareillage

          L’heure de l’appareillage approchant, deux marins descendent à terre et appellent le chien, mais lui, si docile d’habitude, se dérobe.

           Au début, cela ressemble à un jeu, puis il apparaît clairement qu’il s’agit d’un refus catégorique de se laisser approcher. Le chien ne veut pas regagner son bâtiment, événement sans exemple.

          A bord du Phenix, le pacha, dans sa baignoire, s’énerve. Deux autres matelots se joignent à la chasse au chien, sans succès.

          Sur l’Espoir, les marins, à la lisse, goguenardent et donnent des conseils gratuits, plus ou moins saugrenus.

          On est en retard de dix minutes, quand le commandant du Phenix capitule et rappelle ses hommes, abandonnant la mascotte à terre. Les diesels ronronnent, on tire la passerelle unissant les deux navires, on largue les amarres, le sous-marin s’éloigne vers le milieu de la rivière, cap vers « la pointe des blagueurs.

          A ce moment, le chien qui, suivait attentivement les opérations, bondit, franchit la passerelle unissant le deuxième sous-marin au quai et arrive sur l’Espoir. Les marins, étonnés de ce comportement, lui font fête. Peut-être la nourriture est-elle meilleure sur ce bateau que sur l’autre. Il connaît d’ailleurs tout le monde, et ce conduit comme chez lui. On l’adopte donc pour le voyage. Il regagnera plus tard son bord.

          A son tour, l’Espoir largue ses amarres, et en ligne de file, à petite vitesse, les deux submersibles descendent la rivière vers le cap Saint Jacques. Le pacha de l’Espoir signale en « scott » au Phenix « j’ai récupéré ton déserteur.

          Ils naviguent ainsi de conserve, par mer calme, jusqu’en fin de nuit suivante, et plongent à la hauteur du Cap Padaran, route au nord, à la rencontre des bâtiments de surface. Ceux-ci, un croiseur et quatre avisos, en ordre déployé, descendent vers le sud.

                   La catastrophe  

          Les exercices se déroulent selon le programme convenu quand, brusquement, à un demi-mille de la ligne des navires, l’avant d’un sous-marin surgit, pointé vers le ciel à 45°. Vingt à trente mètres de coque ainsi dressée jaillissent de la mer, puis le sous-marin disparaît, comme aspiré par l’arrière.

        Nul ne reverra plus le Phenix  et ses quatre-vingts hommes d’équipage.

        C’est la fin de l’exercice, l’Espoir fait surface normalement dans les minutes qui suivent. A bord de l’escadre, c’est le branle-bas. Les signaux visuels et radios s’entrecroisent.

           L’amiral, sur son croiseur, mène les opérations tambour battant.

          Quinze jours d’activité frénétique commencent. La mer est calme. Le point de disparition du Phenix est situé rapidement sans qu’aucun indice ne permette de définir la cause de la catastrophe. Aucune épave ni remontée d’huile, aucun écho.

        Le sous-marin repose sur fond de sable, l’avant à 92 mètres, l’arrière à 108, couché à 30° sur bâbord, à trois milles seulement de la cote.

         Les moyens de l’époque, bouée téléphonique, jupe d’évacuation, permettent en théorie de sauver un équipage coulé par trente mètres, mais pas plus.

          Nous sommes loin du compte. A bord du Phenix, c’est le silence, les sonars n’enregistrent pas le moindre bruit et l’on ne saura jamais ce qui c’est passé.

                   Les Américains interviennent

          L’amiral entre en communication avec Manille, et la marine américaine envoie immédiatement deux navires, dont l’un l’USS Pigeon est spécialement conçu pour le sauvetage des submersibles américains. Ceux-ci comportant un panneau circulaire, accessible de l’extérieur.

          Le navire coulé étant supposé d’aplomb, ou presque, le navire sauveteur descend au bout d’une grue une cloche à deux étages d’un diamètre supérieur au panneau d’accès.

          L’étage inférieur de la cloche est ouvert par le fond, donc rempli d’eau de mer. L’étage supérieur équipé de hublots et dans lequel ont pris place les sauveteurs, est en communication avec la surface par le téléphone, l’alimentation électrique des projecteurs, et une tuyauterie d’air comprimé, alimentée par les puissants compresseurs du navire.

        A l’extérieur de la cloche, des scaphandriers accompagnent celle-ci dans sa descente. Cent mètres constituent la limite d’action sinon de la cloche, du moins des scaphandriers.

         Au contact du bâtiment coulé, la cloche est positionnée sur le panneau circulaire de sauvetage, et fixée de l’extérieur par les scaphandriers. L’eau de l’étage inférieur de l’engin peut être ensuite chassée à l’air comprimé. La cloche se trouve ventousée sur le sous-marin.

         Les sauveteurs, munis de casques contre d’éventuels gaz délétères, descendent par un sas à l’étage inférieur, et sont ainsi en mesure d’ouvrir le panneau d’accès au submersible et alors, peut-être, recueillir les survivants, si survivants il y a.

         Car bien entendu, la survie des hommes, dans les meilleures conditions, après un tel naufrage, ne saurait excéder quelques jours, une semaine peut-être.

           La plongée de la cloche du Pigeon permet de mieux apprécier la position du Phenix, mais rien d’autre ne put être tenté, tant du fait de la gîte du navire que de l’absence d’un dispositif d’accès analogue à celui des bâtiments américains.

          On en revient à une méthode ancienne consistant à essayer de glisser sous le navire des chaînes, tirées par deux remorqueurs, afin de pouvoir draguer le bâtiment, et l’amener à la cote, en remontant la pente douce des fonds sableux sur lesquels il est échoué.

          Mais on n’arrache pas aussi simplement quelques deux mille tonnes à la mer, et après avoir cassé plusieurs énormes chaînes, il faut renoncer.

          Durant toutes ces opérations, sur l’Espoir, l’atmosphère est sinistre. Les deux équipages ne faisaient qu’un et tous se connaissaient parfaitement.

          Tant pour tenter de mieux comprendre, dans les conditions du bord, les diverses éventualités, que pour jauger les nerfs de ses marins, l’amiral décide, dès le lendemain du naufrage, d’embarquer sur le submersible orphelin de son frère, et d’effectuer des plongées successives dans différentes hypothèses.

          Rien ne ressort de ces tentatives, si ce n’est le raffermissement du moral de l’équipage. Et l’amiral déçu, rejoint son croiseur.

          Au moment de quitter le bord cependant, il prend encore le temps, méditatif, d’interroger du regard l’unique survivant de la catastrophe, le chien du Phenix. Mais hélas, le pauvre animal se révèle incapable de communiquer ce que lui, peut être, savait déjà avant l’appareillage.

                                                                  Raoul PICAULT

       Texte retranscrit VIRGINIE VENTURA 

      

 Le Chien qui savait tout original

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  Sous Marins Phénix  1929 photos Christian GACQUIERE en photo son père


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ARTICLE COMMUNIQUE PAR

JEAN MICHEL VIGEZZI

ANCIEN DE L EC FRINGUANT

BLED  N°143 d'avril 1961
En fichier joint la couverture du magazine.
Navalement
Jean Michel

JMVigezzi@aol.com

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